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dimanche 25 octobre 2009

BOUALEM RABIA (ÉCRIVAIN) : «Le roman amazigh doit prendre de l’essor»

La sortie d’un roman en langue amazighe est l’événement culturel le moins fréquent dans notre pays. Les romans écrits en tamazight se comptent sur des doigts d’une seule main. Le dernier roman en tamazight a été édité il y a plus de trois ans. La sortie du roman de Boualem Rabia, Nnig Usennan (éditions l’Odyssée) ne peut pas passer inaperçue. Dans cet entretien, l’auteur, qui a déjà publié un premier livre chez le même éditeur, intitulé Florilège de poésie kabyle, parle de son livre mais donne aussi sa vision de la littérature d’expression berbère.

L’Expression: Votre premier roman est écrit en tamazight. On se serait plutôt attendu à un roman en français, compte tenu de votre longue expérience professionnelle. Pourquoi le choix de tamazight?
Boualem Rabia: Si j’ai opté pour tamazight, c’est indéniablement parce que cette langue, qui est la nôtre, a plus que jamais besoin de produire par elle et pour elle, d’avoir sa propre création scripturale. C’est pourquoi j’ai décidé ainsi et brûlé mes vaisseaux. Ce que disait Robert Randau dans la phrase suivante, est à juste titre valable pour l’expression amazighe: «Il doit y avoir une littérature nord-africaine, parce qu’un peuple qui possède sa vie propre doit posséder aussi une langue et une littérature à lui.»
Si nous voulons que notre langue ait sa place au soleil, il faut absolument qu’elle cesse d’être à la botte des autres langues dont nous usons pour nous dire, dire notre société, notre vérité d’être...Pour vivre notre culture de l’intérieur, disons-la aussi et surtout dans la beauté de notre propre langue. Certes, il y a toute une pléthore de recueils de poèmes (certains sont extraordinaires et de portée universelle) mais cela reste très insuffisant: il faut que le roman (entre autres genres) prenne de l’essor. L’épanouissement de notre culture doit tenir compte de l’incontournable création littéraire dans toute sa diversité. Pourquoi le choix de tamazight? Parce que «le Printemps berbère» et «le Printemps noir» doivent être maintenant justifiés et honorés par un réel épanouissement de notre langue, de notre culture. Question idoine pour me rappeler la célèbre sentence de Kateb Yacine: «On ne sort pas d’une révolution pour fermer sa gueule!»

Le titre de votre roman, Nnig Usennan est saisissant. Que symbolise-t-il pour vous?
Nnig Usennan (Au-dessus de l’épine) est un titre tiré d’un proverbe kabyle (tamegra nnig usennan) qui, en substance, veut dire que nulle moisson n’est acquise, si l’on n’a pas prêté ses mains et ses bras aux épines du chardon et du pa-nicaut. Un titre qui symbolise pour moi le sacrifice, l’abnégation et le désintéressement dans toute lutte pour une cause juste...Ici, il m’appartient de dire que la «question amazighe» est utilisée par beaucoup de faux militants comme un cheval de Troie. Et c’est là aussi que gît une part du problème de tamazight.

Pouvez-vous résumer la trame de votre roman?
Une trame faite de rêves parfois impraticables et de réalités amères. Comme dans toute oeuvreromanesque, l’auteur a beau le nier, même inconsciemment, il s’y reflète. Il y met sa douleur et son espoir, son amour et ses dédains, ses doutes et ses certitudes...A travers les personnages (Ba Zemni, Sedda, Wecci...) aucune pensée, aucun comportement n’est invraisemblable ou fortuit. Symboliquement, la saga d’une tribu (At Nubel) transplantée, que le doyen, le patriarche (Ba Zemni, le dépositaire de la mémoire ancestrale) tente, avant sa mort, de ramener à la source, à l’identité première.

On n’écrit pas un roman sans avoir beaucoup lu et sans avoir été influencé, voire profondément marqué par certains auteurs. Quels sont vos écrivains préférés et pourquoi?
Effectivement, je lis énormément et depuis toujours. Influencé...naturellement, je le suis par Mammeri, Kateb Yacine, Zola, Kafka, Baudelaire...Enfin, comme dirait l’autre, en citer c’est en oublier. Pourquoi? Tout sottement, peut-être, en chacun, dès ma prime jeunesse, j’ai trouvé l’outil essentiel pour sculpter une facette de mon monde intérieur.

Souvent, on présente l’écriture romanesque comme une forme de thérapie. On écrit pour ne pas subir. Etes-vous d’accord avec cette définition?
Tout à fait d’accord! J’ai toujours écrit, traduit, peint, chanté des mélopées anciennes, fait partie du fameux groupe musical des années 70-80: Yougourthen, en vue d’exorciser la solitude, l’oubli des belles choses essentielles que l’absurdité tente de dénaturer, dévitaliser, voire annihiler.

Les écrivains écrivent aussi par nostalgie. On écrit parce que les temps révolus ne pourront plus revenir et qu’on pense que le bon temps est toujours derrière nous. Ce qui n’est pas toujours le cas. Quel est votre avis?
J’écris pour refuser le désenchantement d’un environnement de plus en plus déshumanisé, quedéserte progressivement toute poésie. Oui, dans le plus clair des cas, j’écris par nostalgie. D’ailleurs, ma muse s’appelle Nostalgie.

La production romanesque en tamazight se limite à moins d’une vingtaine de romans plus ou moins sérieux. A quoi est due, d’après vous, cette faiblesse?
Triste réalité. A mon humble avis, cette carence résulte du fait que la langue amazighe est fraîche émoulue de l’oralité. Elle n’est enseignée que depuis une date très récente. Une langue multimillénaire marginalisée, frappée d’interdit sur son propre territoire! Si elle est encore parlée par des millions de Maghrébins, très peu savent l’écrire. Toutefois, s’il y a une réelle volonté des Etats concernés de promouvoir cette langue (cette culture, que l’on aurait plutôt tendance à folkloriser), ils doivent prendre des initiatives conséquentes, sincères, allant dans le sens de cette promotion, en y mettant les moyens adéquats et en visant un public plus vaste, au lieu de la cantonner dans des régions bien définies...Inutile de s’étaler là-dessus! Sinon, même si le roman est le genre littéraire qui tarde le plus à se consolider dans le domaine amazigh, l’espoir ne fait pas défaut: il existe de jeunes talents qu’il suffit d’encourager. L’effort et la volonté des écrivains amazighophones, qui écrivent dans d’autres langues, seraient d’un apport considérable dans l’usage cultivé de leur langue maternelle, pour le panorama littéraire amazigh.

Parlez-nous de votre expérience dans le domaine de la traduction. Il est très difficile de traduire du tamazight vers le français, surtout s’agissant de poésie. Comment vous vous y prenez?
C’est toujours par amour pour cette langue que j’écris ou traduis (du kabyle au français ou inversement). «Traduire, c’est trahir», dit-on. Ce n’est pas toujours faux. Mais au moins, quand on veut éviter les coups de Trafalgar dans ce domaine (poésie), l’on doit se sentir à l’aise dans les deux langues, l’on doit sentir que le souffle poétique n’est pas uniquement dans la rime, encore moins dans la traduction littérale du vers. Il faut une certaine relation charnelle avec le verbe, l’âme du verbe. C’est tout comme en musique: la chose se sent mais ne s’explique point.

Qu’en est-il de votre expérience dans les scénarios de l’audiovisuel?
Une expérience édifiante. En tout, six ou sept productions depuis les dialogues et les décors de La Montagne de Baya de A.Meddour jusqu’à H’nifa, une vie brûlée de S.Allam et R.Iftini. Il me reste quelque part un goût de déconvenue, quant aux dialogues kabyles.
Par la force des choses, on a souvent «charcuté», rendu insipide telle ou telle phrase, tel ou tel passage dans ma version kabyle, qui tente de réhabiliter un mot, une expression...Et étant perfectionniste, quant à l’expression dense mais exhaustive, c’est là toute la beauté du verbe kabyle, j’ai dû assez souvent essuyer des convenues sur le plateau ou à la sortie du film. Mais les quelques films amazighs culturellement valables ont, en dépit de tout, le mérite d’exister. Pour le reste, l’on est en train de reproduire l’hécatombe qu’a déjà subie la chanson.

Entretien réalisé par Aomar MOHELLEBI

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