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dimanche 30 août 2009

Les derniers villages kabyles : SOS patrimoine en péril !

Où peut-on encore voir un village kabyle qui n’a pas été défiguré par le béton ? Un village qui a su préserver son architecture, ses repères et son identité. Hélas ! Presque nulle part, sommes-nous tentés de dire.

Les mutations socio-économiques et l’urbanisme débridé de ces dernières années sont venus à bout de la plupart des villages, ces cités médiévales qui sont les derniers témoins d’un mode de vie et d’un savoir-faire local en matière d’habitat et d’architecture. « Aujourd’hui, le village kabyle est en rupture typologique totale avec l’ancien modèle », affirme Bedahouche Abdelhak, un architecte qui a fait sa thèse sur l’habitat traditionnel. Contrairement au Maroc voisin où l’on peut encore admirer de très belles structures d’habitats traditionnels depuis longtemps intégrés dans les circuits touristiques, chez nous, rien n’a été fait pour sauvegarder ce patrimoine culturel et architectural. Délaissées ou démolies, les casbahs montagnardes de Kabylie disparaissent les unes après les autres à un rythme effrayant. Elles n’ont fait l’objet d’aucune mesure de sauvegarde ou de protection. Pourtant, elles ont tant d’atouts et d’atours à faire valoir que La Casbah d’Alger ou les ksours de Timimoun qui, eux, ont été classés. En France et au Canada, les mairies disposent d’un architecte municipal sans lequel rien ne peut se concevoir. Dans ces mêmes pays, l’architecture, qui est un fait culturel, relève du ministère de la Culture. En Algérie, en matière de forme, de type, de matériau ou de gabarit, il n’y a aucune norme à respecter. Chacun n’en fait qu’à sa tête. « A force d’injecter des éléments nouveaux, à un certain moment, le village perd son identité », dit encore Abdelhak.

Nous sommes donc partis à la recherche des derniers villages kabyles en commençant par le Djurdjura. En quittant le chaudron bouillonnant qu’est devenue Tizi Ouzou, première halte à Azzefoun. Non pas le port mais le vieux village situé au sommet d’un mamelon qui nargue la mer et la montagne. Le calme monacal qui règne ici n’est troublé que par le chant des oiseaux et le contraste est d’autant plus frappant que l’on vient de quitter une ville de Tizi Ouzou étouffée par les embouteillages et les cohues humaines. Azzefoun est, sans conteste, l’un des plus beaux villages d’Algérie. L’un des plus riches en histoire également. Les reliques phéniciennes côtoient les ruines romaines au milieu de vieilles maisons en pierre aux vergers luxuriants. Même si le béton a fait une grande percée comme partout ailleurs, les vieilles maisons d’Azzefoun ont gardé un indéniable cachet d’authenticité. Avec leurs toits de tuiles noircies par le temps et leurs vieilles pierres mangées par la mousse et le lichen, elles feraient le bonheur du peintre ou du photographe le plus exigeant. C’est là qu’il faut se rendre pour admirer, entre autres trésors archéologiques, la mosquée la plus pittoresque d’Algérie. Ce joyau architectural qui a su traverser les siècles pour arriver jusqu’à nous possède un minaret qui était, à l’origine, une tour de guet romaine construite en pierre taillée. Il s’agit, sans nul doute, de l’un des lieux de culte les plus originaux du Maghreb.

Construite du temps de l’empereur Auguste, la tour a été retapée sous le règne de Septime Sévère. Ajoutez au décor la petite salle de prière avec ses deux colonnes romaines qui suportent le toit et le majestueux figuier qui ombrage sa petite cour et vous comprendrez pourquoi la mosquée El Djamâa El Kevir du vieux Azzefoun peut aspirer, sans prétention aucune, au classement de patrimoine de l’humanité par l’Unesco. Quand on se promène à travers les ruelles étroites du village, on est frappé par le nombre de vestiges historiques que les lieux renferment. En fait, tout le village est un véritable musée à ciel ouvert. Étonnant mais logique dans un pays dont l’histoire officielle se résume à sa guerre de libération. Azzefoun, avec tous ses vestiges phéniciens et romains, ses vieilles maisons kabyles et tous ses sites historiques ou touristiques, ne bénéficie d’aucun classement. A la direction de la culture de Tizi Ouzou, M. Hachour, le chef de service du patrimoine culturel, est un homme visiblement passionné par sa mission. « Notre souhait est de sauvegarder le maximum de villages. On doit garder le cachet spécifique de la Kabylie », dit-il d’emblée.

Pour le moment, on en est à la phase d’inventaire. Plusieurs villages sont couchés sur les tablettes de la direction : Moknéa, Taksebt, Tigzirt,Mira, Tamesguida, Ichikar et Ath El Kaïd. Ce dernier village est d’ores et déjà classé patrimoine culturel national. Il est classé en secteur sauvegardé. Cap donc sur Ath El Kaid, dans la commune d’Agouni Gueghrane, au pied des crêtes dentelées du Djurdjura. Arrivés sur place, il faut trouver un guide pour visiter le village. Ali Lamara, membre de l’association « Ithren n’Ath El kaidh » , se dévoue volontiers à cette tâche. Le village s’est créé au VIe siècle lorsque les habitants se sont réfugiés sur ce site après avoir assassiné un caïd turc. Ne pouvant plus payer l’impôt institué par les Ottomans et au terme d’une année de disette, ils se sont résolus à faire parler la poudre face au représentant d’une administration turque qui avait la fâcheuse idée de ne s’intéresser qu’aux deniers et aux greniers des montagnards. Ce fait d’armes leur a valu un nom pour la postérité. Au bout de quelques minutes de visite, il convient de reconnaître que le village n’est qu’un champ de ruines. Il ne reste d’ailleurs plus que trois maisons traditionnelles encore habitées. Ali, qui n’a pas mis les pieds sur le site depuis six mois, découvre, à chaque pas, que de nouvelles maisons se sont effondrées.

La maison des Sarour est, cependant, un véritable miracle au milieu de ce champ de ruines. C’est une maison kabyle typique, avec ses peintures murales, ses motifs berbères et ses objets traditionnels qui vaut à elle seule le déplacement. Cela compense un peu la déception de voir un village classé patrimoine historique en complet abandon. De la Kabylie du Djurdjura à celle des Bibans. Virée à la Qalâa N’ath Abbas, à l’extrémité sud de la wilaya de Bejaïa. Perchée à plus de 1000 mètres d’altitude sur un plateau rocheux aux falaises vertigineuses, l’ancienne citadelle des Ath Moqrane a toujours fière allure malgré les vicissitudes du temps. Arrivés au plateau de Boni, il reste encore 7 kilomètres d’une route tortueuse qui flirte avec des précipices qui donnent le tournis et des falaises qui suspendent des tonnes de roches au dessus de nos têtes. On débouche enfin sur le village sans que l’on s’y attende le moins. Qalâa est à vos pieds. Tapis de tuiles roses et murs de pierre aux pieds du visiteur, Qalâa se révèle dans toute sa splendeur nue. Cette ancienne casbah fortifiée n’a pas d’équivalent en Algérie. Elle a plus de mille ans d’existence. Tout d’abord fort hammadite et caravansérail, elle est devenue au XVIe siècle la capitale d’un royaume qui s’étendait jusqu’aux portes du désert.

Le village, même partiellement détruit par un bombardement systématique en 1959, possède encore de splendides vestiges d’une architecture très élaborée. Quelques anciennes dépendances des Mokrani et deux mosquées ont été classées par la direction de la culture de Bejaïa et font l’objet d’une restauration. Le reste du village, déserté par la plupart de ses habitants, continue de se délabrer. Qalâa, capitale d’un royaume éphémère, siège d’une résistance farouche contre les Turcs et les Français, survivance d’un passé lié aux Zirides et aux Hammadites, offre pourtant un site naturel d’une beauté à couper le souffle.

Par Djamel Alilat

La politique du logement face au phénomène d’exode rural

L’un des aspects les plus aigus de la crise économique et sociale que le gouvernement, depuis plusieurs années et au travers de différentes formules, tente de résorber est indubitablement celui du logement. Les efforts de la collectivité nationale se sont investis d’une façon considérable dans la satisfaction d’un besoin social primordial, mais les résultats sont en-deçà des attentes. Le déficit, hérité de la colonisation, en logements et en habitat décent, est une donnée connue dans l’histoire contemporaine de notre pays. Cependant, à lui seul, ce déficit historique n’explique pas l’acuité et la permanence de la crise qui s’étend maintenant sur presque un demi-siècle.

La problématique du logement et de l’habitat dans notre pays jette à la figure des gestionnaires et des responsables leur impuissance à gérer dans la rationalité et l’harmonie l’ensemble des segments de l’économie nationale : territoire, urbanisme, environnement, infrastructures de desserte, équipements publics, agriculture, zones industrielles, mobilité des populations, politique de l’emploi,…etc. Car, c’est connu depuis que l’homme s’est constitué en société, l’habitat- en tant que ‘’nid’’ regroupant la cellule familiale, nucléaire ou élargie-, ne se crée et se fixe qu’autour des zones de production et de consommation, autrement dit, ce sont le travail et l’emploi qui fixent les individus dans des espaces qui seront appelés par la suite des habitats.

La répartition géographique de la population et sa mobilité inscrite dans l’espace et dans le temps induisent des comportements et des attitudes particulières quant à la manière dont sont appréhendés, intériorisés et vécus les éléments de l’environnement. Le mariage idéal qui a pu s’établir en Algérie entre l’homme et la nature avant les grands bouleversements coloniaux et les profonds changements apportés par l’indépendance du pays n’est sans doute plus qu’une romance que l’imaginaire collectif présente aujourd’hui sous la forme d’un paradis perdu.

En tout cas, le cadre de vie façonné par une “modernité’’ problématique- car pleine de contradictions et de comportements à l’hybridité oppressante- tend de plus en plus à échapper aux hommes et aux structures administratives si bien que, sur le plan de la gestion de l’environnement, de l’espace et de l’habitat, de lourdes menaces commencent à peser sur l’ensemble de la collectivité.

De profondes métamorphoses

Depuis le début de la colonisation jusqu’aux programmes de développement de l’Algérie indépendante, la population, la propriété foncière, les modes de vie, les systèmes de production, la cellule familiale et la gestion de l’espace, en tant que lieu d’habitat et ressource primaire , ont connu de tels chamboulements que le pays s’est complètement métamorphosé. De fond en comble, la relation avec la terre et avec ses éléments principaux (montagnes, ruisseaux, fermes, assiettes foncières, ressources naturelles) se trouve transformée. Le système colonial, dans une stratégie de cantonnement des populations indigènes, a construit des villes nouvelles, crée des usines, bâti des écoles et des infrastructures de desserte, comme il a institué le système de métayage qui avait réduit nos paysans à une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci. À l’intérieur même des villes européennes nouvellement construites en Algérie, les poches de misère des indigènes ont été circonscrites dans des quartiers dits “arabes’’. Entre Bab Djedid, Square Bresson et le lycée Bugeaud (actuel Emir Abdelkader), était confinée la population de la Casbah. Il en est de même pour les autres agglomérations d’Algérie, et cela qu’elles que fussent leurs dimensions (Koléa, Sour El Ghozlane, Perrégaux, actuelle Mohammadia,…).

Au vu des promesses nourries par la révolution algérienne consistant à bannir le statut de khemmes et à réhabiliter le paysan algérien, la situation de l’habitat et de l’urbanisme allait subir des distorsions encore plus dommageables. Le déracinement (culturel, professionnel et même domestique) des populations qui allaient connaître un exode rural accru déteindra pour longtemps sur la conception et la gestion des espaces habités. Le statut de paysan a été dévalorisé au vu de son histoire peu glorieuse pendant la colonisation. Il s’ensuivit une fonctionnarisation effrénée, tendant à se décomplexer vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale et, par-là même, à vouloir reproduire les mêmes schémas d’organisation et d’ascension sociale. Cette forme de “stabilisation’’ a eu un effet d’entraînement par lequel d’autres contingents venus des campagnes ont décidé de s’installer dans les villes en rompant avec leur “bercail’’. Des besoins nouveaux sont nés avec une telle situation de fait accompli : école pour les enfants, dispensaires, raccordement aux réseaux AEP, gaz et électricité, assainissement...Une façon comme une autre de régulariser implicitement une urbanisation anarchique. Cela va encore se renforcer avec l’ouverture de nouvelles routes et pistes de desserte, l’installation de magasins d’approvisionnement et parfois d’antennes administratives d’APC.

En matière de travail, les gens s’occuperont de tout sauf de l’agriculture : fonctionnariat, transport clandestin, petits ateliers de mécanique, épiceries, ventes de produits à la sauvette.

Et ce n’est qu’à partir du milieu des années 80 que le chômage, la délinquance juvénile, le banditisme, le commerce des stupéfiants et les autres comportements anti-sociaux nés dans ces favelas commencent à sérieusement inquiéter les pouvoirs publics et à intéresser les milieux intellectuels et universitaires. Ces espaces, autrefois lieux de production agricole malgré la discrimination salariale et la politique d’indigénat, ont été vite transformés en aires bétonnées, en grands cloaques d’eaux usées et en lieu de marginalisation d’où se fortifiera l’intégrisme religieux.

Déracinement culturel et désordre spatial

Les flux d’exode des populations ont entraîné avec eux l’insouciance des autorités locales quant aux actions de développement. Des pistes sont restées non bitumées pendant une trentaine d’années. Les anciennes routes ouvertes par le génie militaire français pour les besoins de la guerre et qui avaient desservi aussi des bourgades et des villages sont tombées en ruine. Le retard d’électrification, d’adduction d’eau potable, d’assainissement et de raccordement au téléphone n’encourage pas les anciens habitants à retourner chez eux. Et, raison capitale, aucune politique de l’emploi en milieu rural, basée sur l’agriculture, l’élevage et l’artisanat n’avait été initiée. La rente pétrolière, dont les effets ont commencé à se faire sentir dès les années 70, pouvait suppléer à toutes les paresses. Cette manne du sous-sol algérien a permis tous les errements ! Même dans les anciens “villages socialistes agricoles’’ (VSA), l’emploi agricole est devenu minoritaire : les gens sont versés dans l’économie informelle, le transport clandestin et le fonctionnariat. C’est un véritable échec ‘’planifié’’ qui a gangrené la société et l’économie en général. Comme si cela ne suffisait pas, les deux dernières décennies du vingtième siècle ont mis sens dessus dessous une situation qui tenait déjà d’un véritable capharnaüm algérien suite à la subversion islamiste- dont l’ascension idéologique et messianique doivent beaucoup, selon l’analyse de feu Mostefa Lacheraf, au déracinement de la société algérienne ayant subi l’exode rural- et les problèmes sociaux s’en trouvent amplifiés.

Il en résulte que la demande en logement va crescendo et épouse une courbe exponentielle sans fin. En outre, le déséquilibre de la répartition démographique caractérisant le territoire national- la zone côtière se trouve surchargée par rapport aux Hauts Plateaux et au Sud du pays- ajouté à la consommation effrénée des terres agricoles pour les besoins du béton, font peser, à moyen terme, un lourd danger au cadre général de vie des Algériens et à l’environnement immédiat, déjà bien mis à mal par toutes sortes de pollutions et de “rurbanisations’’. Au lieu que les autorités et les techniciens algériens consacrent leurs efforts à la réflexion sur un meilleur cadre de vie en améliorant la qualité du bâti, l’architecture des immeubles et l’embellissement des espaces secondaires de nos cités, ils se voient réduits à faire de sempiternels calculs en millions d’unités d’habitation à délivrer à des dizaines de millions de demandeurs. Et c’est un cycle infernal qui ne pourra être jugulé que par une vision globale, rationnelle et cohérente de l’économie et de l’aménagement du territoire.

Un cadre d’habitabilité problématique

Pour un observateur qui déambule dans les parages de Constantine, il est facile de relever le fort contraste entre la vieille ville (Faubourg Lamy, Saint-Jean, Sidi M’cid et Sidi Mebrouk) et la nouvelle ville de Aïn El Bey que l’on peut dominer à partir de Djebel Ouah’ch. Malgré la vétusté du tissu urbain et le sort peu glorieux que la démographie et le laisser-aller ont imprimés à la vieille ville perchée sur un rocher compact, la suite infinie de bâtiments que compte la plaine n’offre nullement la chaleur humaine et le cadre d’habitabilité propres à l’ancienne cité. La proximité de l’aéroport ne suffit nullement à rendre plus humaine et moins oppressante la vie des carrés de béton occupés au cours de ces dernières années par des familles déplacées du Khroub, de Ouled Rahmoun, de Aïn Beidha ou de Aïn S’mara. Un ancien entrepreneur britannique chargé de la construction des brigades de gendarmerie en Algérie pendant les années 80, nous avoua, dans le salon de l’aéroport de Aïn El Bey, qu’il ne comprenait rien à la stratégie d’occupation de l’espace dans notre pays et que, pire, sur des sites verdoyants et pittoresques on a pu installer morosité, froideur et insalubrité. Le cas de Constantine n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Le verdict vaut pour la plupart des villes algériennes lesquelles, une fois tirées au-delà du centre nodal de l’ancienne médina arabo-berbère ou de la cité coloniale, peinent à faire valoir les valeurs de citadinité ou de simple habitabilité. Le problème tient aussi bien aux règles d’urbanisme et aux normes de constructions qu’aux ‘’candidats’’ à l’occupation de ces immeubles, populations extraites généralement d’une paisible vie campagnarde.

Le déracinement des populations- entraîné par l’occupation d’un nouvel espace qui ne s’accorde pas aux pratiques de la vie rurale et par la promiscuité de groupes sociaux et culturels assez contrastés venus d’horizons différents- finit par “rurbaniser’’ les nouvelles cités algériennes.  

Un autre exemple, toujours à l’Est du pays, s’impose par l’excessive dynamique de sa croissance et qui ne répond à aucune logique urbanistique ou d’occupation de l’espace.

Il s’agit d’El Eulma. L’ex-Saint Donat est en train de dévorer la distance (27 km) qui la sépare de la mégapole de Sétif. Le secteur du trabendo en a fait une plaque tournante, avec Tadjenent, du commerce informel alimentant tout le pays. L’opulence générée pour certains barons a fait pousser des ailes à la ville au-delà de toute imagination. Le désordre urbain y est la règle à tel point que la toponymie – des rues et des quartiers- n’y trouve plus son terrain d’expression. On y désigne les lotissements par des chiffres, par quelque commerce célèbre ou par un sobriquet populaire.

Au-delà du défi de la quantité

Le programme de construction d’un million de logements échelonné sur un quinquennat qui s’achève d’ici la fin de l’année en cours paraît tenir d’un défi que les hautes autorités du pays se font un point d’honneur de relever. Mais, au-delà du nombre d’unités d’habitations à réaliser- sous toutes les formules sociales, promotionnelles et rurales imaginées par les autorités du pays-, jusqu’à quand la problématique du logement continuera à être appréhendée en termes exclusivement quantitatifs au détriment d’une vision globale qui intégreraient toutes les données du problème ? Multiplier le nombre d’unités de logements au rythme de la progression géométrique que connaît la démographie dans notre pays paraît un travail d’Hercule qui épuiserait toutes les énergies nationales sans pouvoir satisfaire un jour la demande en la matière. En plus de l’impératif de diversifier les formules d’acquisition de logements par les ménages –en faisant intervenir des crédits immobiliers et d’autres formes de soutien-, il importe aussi de se pencher sur la manière dont se pose le problème du logement en Algérie et sur les raisons d’une demande astronomique concentrée en milieu urbain. Il y a lieu, dans le cadre du Plan de soutien à la croissance économique lancé par le président de la République, de réfléchir sérieusement à la problématique du logement, non seulement sur le plan technique (normes, matériaux, coût du m_, règles parasismiques,…), mais aussi sur le plan social et économique et dans une perspective d’aménagement du territoire rejoignant les réflexes de prospective générale que sont censés développer les gestionnaires et les décideurs du pays.

Depuis l’indépendance du pays, les gouvernants successifs ont lancé des programmes de constructions de logements sous différentes formules (logements sociaux clefs en main, évolutifs, auto-construction, logements promotionnels, LSP, AADL, FNPOS, habitat rural…) faisant la jonction avec les programmes d’urgence conçus par le “Plan de Constantine’’ et lancés par les autorités coloniales à la veille de l’indépendance de l’Algérie.

Des anciens petits villages coloniaux, situés généralement au milieu de vignobles ou de vergers d’agrumes, se sont vus pousser des excroissances anarchiques le long des routes et des pistes pendant les années soixante donnant lieu à des quartiers longilignes sans aucune esthétique et sans les infrastructures et équipements nécessaires qui en feraient des cadres de vie décents. Ce sont souvent des opérations menées à la hâte suite à une pression sociale grandissante qui ne vient pas de la simple démographie galopante des années 60 et 70, mais surtout de la grande mobilité de la main-d’œuvre algérienne se caractérisant par un exode rural massif. Le dépeuplement des campagnes était une conséquence directe du désintérêt des pouvoirs publics pour l’arrière-pays qui avait payé le prix fort pour l’indépendance du pays et de la politique d’industrialisation qui avait ciblé les banlieues des grandes villes (Oran, Alger, Annaba). Les flux de nouveaux migrants issues des montagnes (Kabylie, Titteri, Ouarsenis, Aurès, Nememcha,…) et des Hauts Plateaux (Aïn Boussif, Ksar El Boukhari, Sidi Aïssa, Barika,…) ont fini par constituer des ceintures de misère autour des cités industrielles de Rouiba, El Hadjar, Arzew ; ceintures qui prendront les aspects de bidonvilles que les Algériens ne connaissent que trop. Le problème ne s’est pas limité aux grandes agglomérations. Boufarik, Tipasa, Bordj Menaïl, Boumerdès, Tahir, El Kala, Beni Saf, Mohammadia, Aïn Beidha, sont des villes moyennes qui ont accueilli pendant quatre décennies les paysans déracinés qui ont abandonné leurs hameaux, leurs terres et leurs traditions d’authenticité campagnarde pour s’offrir, à leur corps défendant, comme candidats à une citadinité chimérique. Il faut dire aussi que la Révolution algérienne avait alimenté des rêves de ce genre : s’installer en ville équivalait à prendre la place enviée et convoitée du colon ; c’est un standing qui charrie des fantasmes de “modernité’’ et de pouvoir.

Le nouvel État algérien n’avait rien fait pour relativiser cette vision et pour offrir des conditions de stabilité aux populations des campagnes. Au contraire, sa propension à davantage de centralisation et de déploiement sur les grandes villes du pays a, en quelque sorte justifié l’afflux des ruraux vers la ville. Et ce n’est pas le slogan creux de “l’équilibre régional’’ en vogue pendant les années 70 qui nous pourrait nous apprendre le contraire. Les conséquences de l’exode rural sont perceptibles d’une manière dramatique à deux niveaux : d’abord sur les lieux d’arrivée, les villes, où de nouveaux besoins apparaissent : l’école pour les enfants, de nouvelles structures sanitaires pour le nouvelles populations et, surtout des logements supplémentaires pour les abriter et pour éradiquer les bidonvilles qui ternissent l’image de la ville et du pays. Ces besoins ne s’arrêtent pas là, puisque d’autres candidats, inspirés et enhardis par leurs devanciers, vont taper à la porte de la ville en suivant le même itinéraire. Ceux d’entre eux qui n’auront pas réussi à obtenir un logement dans des immeubles décents servis par l’État, trouveront mille astuces pour s’accrocher aux falaises de Z’ghara et de Sidi M’sid ou pour investir les berges de Oued Aïssi et du Rhumel en attendant qu’un jour les pouvoirs publics se penchent sur leur cas si, toutefois, d’ici là, une inondation ou un séisme ne viennent pas hâter les choses. Grande est notre surprise lorsque, au début des années 1990, nous aperçûmes des femmes et des hommes emprunter les escaliers presque verticaux accrochés aux falaises de l’Oued Rhumel pour se rendre “chez eux’’ dans le fond de la célèbre rivière. Leurs chaumières en toiture de zinc étaient bâties sur le lit même de l’oued.

Une mobilité renforcée par la rente

Ensuite, sur les lieux d’origine- le hameau ou le village- le départ des populations a entraîné avec lui l’insouciance des pouvoirs publics quant aux actions de développement. Des pistes sont restées non bitumées pendant une trentaine d’années. Les anciennes routes ouvertes par le génie militaire français pour les besoins de la guerre, et qui avaient desservi aussi des bourgades et des villages, sont tombées en ruine. Le retard d’électrification, d’adduction d’eau potable, d’assainissement et de raccordement au téléphone n’encouragent pas les anciens habitants à retourner chez eux. Et, raison capitale, aucune politique de l’emploi en milieu rural, basée sur l’agriculture, l’élevage et l’artisanat n’avait été initiée. La rente pétrolière pouvait suppléer à toutes les paresses. Même dans les anciens “villages socialistes agricoles’’ (VSA), l’emploi agricole est devenu minoritaire : les gens sont versés dans l’économie informelle, le transport clandestin et le fonctionnariat. C’est un véritable échec “planifié’’ qui a gangrené la société et l’économie en général. Comme si cela ne suffisait pas, la dernière décennie du vingtième siècle a mis sens dessus dessous le capharnaüm algérien suite à la subversion du terrorisme islamiste- lequel doit beaucoup au déracinement de la société algérienne ayant subi l’exode rural- et les problèmes sociaux s’en trouvent amplifiés.

Il en résulte que la demande en logement va crescendo et épouse une courbe exponentielle sans fin. En outre, le déséquilibre de la répartition démographique caractérisant le territoire national- la zone côtière se trouve surchargée par rapport aux Hauts Plateaux et au Sud du pays- ajouté à la consommation effrénée des terres agricoles pour les besoins du béton, font peser, à moyen terme, un lourd danger sur le cadre général de vie des Algériens et sur l’environnement immédiat, déjà bien mis à mal par toutes sortes de pollutions et de “rurbanisations’’. Au lieu que les autorités et les techniciens algériens consacrent leurs efforts à la réflexion sur un meilleur cadre de vie en améliorant la qualité du bâti, l’architecture des immeubles et l’embellissement des espaces secondaires de nos cités, ils se voient réduits à faire de sempiternels calculs en millions d’unités d’habitation à délivrer à des dizaines de millions de demandeurs. Et c’est un cycle infernal.

La pression sur les villes, particulièrement en matière de demande de logement, ne sera atténuée, et la qualité des constructions et du cadre de vie ne sera assurée, que lorsque l’exode rural aura reflué et lorsque les campagnes seront véritablement prises en charge par des programmes de développement conséquents. C’est ce qui a fait dire à un grand urbaniste que «l’espoir de la ville c’est la campagne»!

Les efforts que l’Algérie a engagés dans ce sens- politique de développement rural tendant à stabiliser les populations sur leurs territoires ancestraux- commencent à donner les premiers résultats. Mais, ce n’est que par une politique soutenue et globale d’aménagement du territoire et de développement durable équilibré qu’une nouvelle tendance- basée sur la rationalité, l’harmonie, la qualité du cadre de vie- pourra se dessiner dans le domaine de la politique du logement.

Amar Naït Messaoud

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